Actualités > Les îlots de chaleur urbains, encore un grand travail pédagogique à réaliser
Interview de Caroline Drouard, directrice du département urbanisme et aménagement du territoire, et Thomas Biendel, directeur du département hydrologie chez Luxplan, Membre de LSC Engineering Group
Au Luxembourg, la prise en considération des phénomènes d’îlots de chaleur urbains dans les projets urbanistiques n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais les solutions techniques sont connues et les bureaux d’études sont prêts à les préconiser.
Quels sont vos domaines de compétences respectifs et comment vos services collaborent-ils ?
Thomas Biendel : Je dirige le département hydrologie qui œuvre dans tous les volets de la gestion des eaux : assainissement, eau potable et hydraulique fluviale. Nous pouvons travailler sur les îlots de chaleur urbains (ICU) lorsque nous organisons la gestion des eaux pluviales dans un quartier, par exemple.
Caroline Drouard : Je suis directrice du département urbanisme et aménagement du territoire. Nous intervenons au moment de la planification, aussi bien sur le développement à long terme que sur l’urbanisme opérationnel au niveau des PAP.
L’approche de LSC Engineering Group se veut systémique, c’est-à-dire associer tous les corps de métier le plus tôt possible, et intégrer toutes les problématiques d’aménagement de l’espace public (paysage, gestion des eaux pluviales, voirie, voies douces…), dès la phase de planification, pour avoir des leviers d’actions et pouvoir mettre en place des solutions qui soient efficaces.
Où en est-on dans la prise en compte des phénomènes d’ICU au Luxembourg ?
C.D. : Il y a une prise de conscience qui s’opère, mais elle est encore assez récente puisqu’elle est apparue avec les épisodes de forte canicule de ces dernières années, mettant en avant des notions comme le confort thermique ou l’usage même de l’espace public qui est clairement modifié en période de canicule. Mais il y a un certain retard par rapport aux pays voisins.
T.B. : Même en intervenant très en amont dans la planification, la prise en compte des ICU arrive fortement après les considérations économiques et surfaciques du projet.
C.D. : Le confort thermique et la qualité de vie dans un quartier sont des arguments plus difficilement quantifiables par rapport à la surface constructible ou au nombre de logements, même si, sur le long terme, ils ont du sens. Il y a un grand travail de pédagogie à réaliser en amont.
Et au niveau législatif ?
C.D. : Il y a eu une grande évolution au niveau de la loi sur l’aménagement communal, notamment au niveau des coefficients du PAG relatifs à la constructibilité. Dans la réglementation de 2004, ces coefficients étaient calculés sur les parcelles qui allaient rester privées : plus l’espace public était grand, plus la constructibilité diminuait. Le maître d’ouvrage n’avait donc aucune incitation à créer des espaces publics confortables en termes de surface.
En 2011, le législateur a modifié le texte et les deux coefficients les plus importants, à savoir le nombre d’unités de logements et la surface constructible, sont depuis calculés sur la totalité du site, indépendamment de la surface réservée aux espaces publics. Le frein réglementaire a donc été levé, mais il reste un frein plus politique : si le droit à bâtir est à utiliser sur une surface privée de plus petite envergure, il faut pouvoir construire plus haut et, à l’heure actuelle, il y a encore des réticences au Luxembourg où la volumétrie traditionnelle reste privilégiée.
Si on fait abstraction de ces freins politiques et économiques, que faut-il mettre en œuvre pour contrer les ICU ?
T.B. : En termes d’ICU comme en termes de gestion des eaux de pluie, pour bien faire les choses, les rendre efficaces et agréables, il faut avoir de la place. Et malheureusement, cette denrée est rare au Luxembourg. Mais si on a cette opportunité, il existe de nombreuses solutions techniques. Par exemple, en utilisant les eaux pluviales pour humidifier naturellement ou transformer des zones vertes en zones humides qui, en échange, vont générer de l’ombre via la végétation et des zones plus fraîches, mais ces zones doivent être prédéfinies bien en amont dès la phase de planification.
C.D. : D’où l’intérêt de travailler ensemble. Les leviers sont multiples, en effet : l’agencement des différents espaces, le choix des matériaux, leur couleur, la limitation du scellement, la végétalisation…, et ils sont connus, mais leur mise en place se fait au cas par cas, en fonction de l’envergure du projet, des contraintes techniques, du support politique. C’est pourquoi, pour agir efficacement sur ces problématiques, il faut les intégrer dès le départ.
Y a-t-il des projets dans lesquels vous avez eu l’occasion de travailler sur cette thématique ?
T.B. : A l’heure actuelle, nous n’avons encore rien exécuté qui réponde à cette problématique car c’est encore une préoccupation récente. Pour utiliser les eaux pluviales pour lutter contre les ICU, il faut adapter le domaine public d’une manière assez novatrice à l’échelle luxembourgeoise.
C.D. : L’urbanisme est une discipline dont les effets concrets sont visibles plusieurs années après leur planification : les PAP aujourd’hui en cours d’exécution et de construction sont ceux autorisés il y a déjà 3 ou 4 ans. Cela explique qu’il n’y ait pas encore un projet novateur déjà réalisé où les ICU ont été au cœur des problématiques d’aménagement de l’espace public et dont il serait possible de mesurer les effets positifs.
Y a-t-il des projets dans d’autres pays qui peuvent servir d’exemple, être inspirants ?
T.B. : La plupart des quartiers qui ont obtenu le label français « Écoquartier » ont pris la lutte contre les ICU en considération. Il est possible aussi d’avoir une prise en compte partielle, de faire des efforts sur certaines zones.
C.D. : J’associe également la notion d’ICU au renouvellement urbain. C’est une problématique qui touche aussi le tissu bâti existant : le réaménagement d’une place ou d’une rue par exemple, parce que les ICU ont vraiment un impact sur les usages en tant de canicule. Au Luxembourg, il n’existe pas d’outil national pour localiser et quantifier les ICU. Or, il faudrait commencer par pouvoir diagnostiquer la situation existante.
T.B. : Plusieurs métropoles françaises le font, par exemple : la ville de Lyon se pose la question sur la nécessité de l’imperméabilisation de certaines zones comme les places publiques. Des zones perméables impliquent moins de réverbération, moins d’accumulation de chaleur pendant la journée, moins de redistribution de chaleur pendant la nuit, plus de végétation et plus d’humidité, sans parler des avantages de recharge de la nappe phréatique et de réduction des débits d’eau pluviale dans les canalisations.
C.D. : Un autre exemple récent est celui de Clermont-Ferrand qui, cet été, a identifié deux places dans le tissu bâti existant sur lesquelles des mesures de températures et d’humidité ont été réalisées et des modélisations ont été réalisées afin de quantifier l’ICU à différentes périodes de la journée et poser un premier diagnostic sur l’impact des modifications des pratiques urbaines.
T.B. : Il y a un grand travail pédagogique à réaliser car la plupart des décideurs ne sont pas informés sur cette thématique, ce qui explique l’inertie dans sa prise en compte. Il est aussi à noter que les grands centres urbains très imperméabilisés et sujets aux ICU, au Luxembourg, sont peu nombreux et d’envergure réduite par rapport aux grandes métropoles européennes.
Mélanie Trélat
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