Actualités > La dépollution des eaux pluviales
L’eau douce est une denrée rare à l’échelle de la planète. De sa bonne gestion découle un bien précieux et primordial : l’eau potable. La gestion des eaux pluviales, parfois source de difficultés et sujette à critique ou incompréhension dans les projets d’urbanisation et de construction au Luxembourg, est une thématique pourtant récurrente et fortement liée au développement durable.
La loi relative à l’eau du 19 décembre 2008 a profondément modifié l’approche de la gestion des eaux pluviales au Luxembourg. Les maîtres d’ouvrages sont contraints de prendre en compte cette question et de mettre en œuvre des infrastructures permettant d’au moins ne pas aggraver la situation existante, voire de l’améliorer. Dans la très grande majorité des cas, la gestion des eaux pluviales se cantonne à la gestion quantitative. Pourtant, l’aspect qualitatif n’est pas à omettre. Les eaux pluviales ne sont pas « propres ». Lors de leur ruissellement sur les surfaces urbanisées, elles se chargent de matières pouvant être polluantes, telles que des matières organiques ou minérales, des hydrocarbures, des métaux lourds et certaines substances dites prioritaires (au sens de la Directive Cadre sur l’Eau) pouvant avoir une certaine toxicité.
Extrait de « Leitfaden zum Umgang mit Regenwasser in Siedlungsgebieten Luxemburgs » – Administration de la Gestion de l’Eau
L’aspect qualitatif des eaux de ruissellement a été suivi depuis quelques décennies dans divers pays européens et de part le monde, et tous les résultats montrent qu’une très grande part de cette pollution est adsorbée aux particules en suspension. Ceci signifie que la pollution n’est, en grande majorité, pas dissoute mais fixée aux particules qu’il s’agisse de particules minérales ou organiques (sables, limons, fines…).
Extrait de » LES POLLUANTS DES REJETS URBAINS DE TEMPS DE PLUIE » -INSA Lyon, Jean-Luc Bertrand-Krajewski, 2006
A partir de ce constat, il est aisé d’imaginer une solution rapide et simple pour réduire cette pollution. Il s’agit de l’abattement des matières en suspension. Ainsi, si on parvient à bloquer en amont du milieu naturel les matières en suspension, on peut atteindre une excellente réduction de la charge polluante globale.
Les solutions pour l’abattement des matières en suspension dans les eaux pluviales, vu les quantités à gérer, doivent rester simples, gravitaires et passives. Deux possibilités s’offrent alors à l’Ingénieur : la décantation et la filtration. En principe, une combinaison de ces deux techniques est réalisée.
C’est sur ce principe que le réseau d’assainissement, et plus particulièrement le réseau des eaux pluviales, de la Z.A.R.O. (Zone d’Activités économiques à caractère régional dans la Région de l’Ouest du pays) a été conçu. Cette zone, situé à Grass (commune de Steinfort) présente une surface brute de plus de 21 ha dont 17 ha découpés en lots, le reste étant destiné aux aménagement publics (parking, espaces verts, voiries…). La site présente une pente générale dirigée vers un point bas naturel. Ce point bas a pu être aménagé idéalement pour la gestion des eaux pluviales.
ZARO – Vue d’ensemble
La conception du projet de gestion des eaux pluviales s’est articulée autour de quatre axes :
L’intégralité des infrastructures de rétention et de traitement a été réalisée à ciel ouvert. En plus de réduire les coûts par rapport à des infrastructures enterrées, elles offrent une possibilité de double fonction en offrant un rendu paysager intéressant.
La gestion des eaux pluviales à ciel ouvert débute par la collecte via des fossés enherbés sur un linéaire total de près de 7 km. Toutes les eaux de ruissellement n’ont pu être totalement évacuées par cette méthode, mais chaque fois que ceci a été possible, les canalisations ont été remplacées par des fossés. Ceux-ci offrent un avantage économique par rapport à une canalisation, une plus-value esthétique (création de passerelles piétonnes, de passages à gué) mais également un pré-traitement des eaux pluviales. L’écoulement de l’eau dans le fossé est, en effet, nettement plus lent que l’écoulement dans une canalisation lisse, offrant ainsi une première décantation de l’eau pluviale.
Les eaux pluviales transitent ensuite dans des débourbeurs (au nombre de trois, pour un volume total de 330 m3) dont la fonction est, d’une part, de retenir les flottants (huiles, déchets…) grâce à une cloison siphoïde, et d’autre part de retenir les particules en suspension les plus décantables (graviers, sables, déchets…). Ceci a pour objectif de protéger la structure suivante : le filtre à sable planté de roseaux.
Fossé périphérique et filtre à sable – Coupe
Avant d’entrer dans le filtre à sable, l’eau est répartie via un fossé périphérique de déversement d’une longueur de 250 m. Celui-ci a pour rôle de répartir le plus uniformément possible l’eau sur tout le filtre afin d’éviter les chemins d’écoulement préférentiels pouvant résulter en une diminution du rendement épuratoire. Le filtre à sable est constitué d’une succession de couches de sables et graviers de dimension, nature et granulométrie choisies et définies par l’Ingénieur. Un total de plus de 2200 m3 de sables et graviers de différentes granulométries a été mis en œuvre. Le volume d’eau pouvant s’accumuler dans ce compartiment permet d’assurer le traitement complet d’une pluie de période de retour de deux ans soit environ 3200 m3, ce qui permet, en principe, de traiter totalement le volume ruisselé lors de « l’orage de fin d’été » qui constitue un pic dans la production de matière polluante dans l’eau de ruissellement. Le système de fonctionnement est simple, passif et gravitaire : les eaux pluviales traversent les différentes couches de sables et gravier pour rejoindre un réseau de drains.
Graviers mis en oeuvre
Lors de cette percolation, les matières en suspension sont retenues, dépolluant ainsi l’eau pluviale. La vitesse de filtration est réglée par un organe mécanique, de type régulateur de débit à flotteur. Cette vitesse est choisie par l’Ingénieur en fonction des résultats observés sur d’autres sites et peut être adaptée sur place en fonction des rendements obtenus. Le filtre à sable est planté de roseaux (Phragmites australis). Ces végétaux jouent un rôle multiple. Du point de vue technique, l’expérience montre que des filtres plantés se colmatent moins facilement que des filtres non plantés. Ceci est lié au système racinaire des roseaux qui se dilate et se contracte lors de l’alternance des phases sèches et humides. Ce mouvement permet un certain « auto-décolmatage ». Le système racinaire des roseaux est également le siège de ce qu’on appelle la rhizosphère. Il s’agit de l’écosystème se développant à proximité des racines. Il est constitué d’une variété de microorganismes qui peuvent jouer un rôle épuratoire en dégradant certaines matières organiques présentes dans l’eau pluviale. Enfin, en plus d’offrir une amélioration à l’aspect paysager de la zone d’activité, ils offrent un refuge aux insectes, batraciens et oiseaux.
Phragmites australis
En sortie de filtre, l’eau sert alors à alimenter un étang permanent dit « de finition » d’une surface totale de 6000 m². La grande majorité du traitement de l’eau pluviale est réalisée en amont de cet étang, assurant à l’écosystème, qui ne manquera pas de s’y développer, une source d’alimentation saine. Cependant, on peut s’attendre à un certain abattement de certains polluants dissous dans cet étang. Le filtre à sable focalise en effet le traitement, comme expliqué plus haut, sur la part particulaire de la pollution. Le traitement des pollutions dissoutes n’est que secondaire. L’étang de finition, quant à lui, pourra avoir un effet positif sur cette part dissoute de la pollution. Le filtre à sable n’offrant qu’un volume de rétention pour une pluie de période de retour de 2 ans, c’est l’étang qui offrira le volume manquant (2100 m3) pour obtenir un volume total pour une pluie de période de retour de 10 ans soit plus de 5300 m3 au total, tel qu’il est la règle au Grand-duché. A ceci s’ajoute son aspect paysager et naturel. Une île subaquatique avec une très faible couverture d’eau est réalisée en son milieu pour, là-aussi, offrir un refuge à diverses espèces animales et végétales.
Berges de l’étang
Ensuite, l’eau est rendue au milieu naturel, l’Eisch, petit cours d’eau transfrontalier. Toutes ces infrastructures sont accessibles et ouvertes au public. L’utilisation de clôtures a été totalement proscrite et seule une glissière matérialise le débourbeur, infrastructure plus technique. Au contraire, par une jeu de chemins piétons, ponts, passerelles et passages à gué, les promeneurs peuvent s’approprier le site.
Outre l’aspect intégré et paysager de l’ensemble du site et l’énorme plus-value sur la qualité de l’eau, la gestion quantitative n’a pas été omise. Le volume de rétention assuré permet de stocker une pluie décennale tout en réduisant le débit de fuite. Lors de l’inspection du milieu récepteur (l’Eisch), il est apparu que le débit qui y serait raccordé ne pouvait être simplement établi par un calcul d’émission (ce que le site produit) mais plutôt par un calcul d’imition (ce que le milieu peut recevoir). Grâce aux facilités liées à la topographie du site, il a été possible, sans surcoût, de réduire le débit de fuite au tiers de ce qu’il aurait été en cas de calcul standard. Un léger rehaussement de la digue périphérique a suffit à assurer le volume nécessaire.
L’Eisch à Grass
Cet exemple de gestion intégrée et paysagère de l’eau pluviale a pu être possible grâce à la synergie entre un maître d’ouvrage soucieux de l’environnement, un bureau d’étude averti dans le domaine de la gestion des eaux et une administration attentive aux efforts réalisés dans l’objectif de la protection du milieu naturel.
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